Le Pr Cattan, chirurgien digestif à l’hôpital Saint-Louis, explique comment l’ingénierie tissulaire constitue une voie de recherche prometteuse pour le remplacement d’organe.
De la reconstruction oesophagienne
Après oesophagectomie pour lésion bénigne (brûlures caustiques, sténoses peptiques…) ou maligne, le remplacement œsophagien fait habituellement appel à des transplants gastriques ou coliques. Le traitement des atrésies longues de l’œsophage peut nécessiter l’utilisation de tels transplants de première intention ou après échec de techniques d’allongement. Dans cette situation, le traitement d’un défaut de substance relativement court nécessite le remplacement de l’ensemble de l’œsophage. Il en est de même du traitement des sténoses de l’œsophage réfractaires aux dilatations endoscopiques. Ces reconstructions œsophagiennes ont une morbidité et une mortalité importantes et des résultats fonctionnels souvent imparfaits, altérés par le reflux, le retard à la vidange du substitut œsophagien ou le dumping syndrome(1). De plus, des sténoses ou des distensions du transplant surviennent fréquemment à long terme(2), imposant une réintervention. Par ailleurs, l’échec de ces reconstructions conduit à une impasse thérapeutique avec nutrition entérale définitive par jéjunostomie. Il existe donc un rationnel certain à la mise au point d’autres substituts œsophagiens qui, tout en préservant les organes intra-abdominaux, permettraient des remplacements œsophagiens adaptés à la pathologie traitée.
Au concept de médecine régénérative : l’ingénierie tissulaire
Le concept de médecine régénérative dont l’ingénierie tissulaire, tissue-engineering des anglo-saxons, est une des applications, est une voie de recherche particulièrement prometteuse pour le remplacement d’organe. L’ingénierie tissulaire peut se définir comme « l’application des principes de la croissance tissulaire afin de produire un tissu de remplacement fonctionnel pour une utilisation clinique »(3). Actuellement, l’approche la plus classique consiste à utiliser des matrices biologiques acellulaires dans lesquelles sont ensemencées des cellules d’origine autologue, allogénique ou xénogénique , ayant fait l’objet d’une expansion in vitro(4).
Notre projet est à notre connaissance le seul projet de recherche translationnelle en ingénierie tissulaire pour le remplacement œsophagien en France. Le bien fondé de cette recherche apparaît dans la diversité des soutiens dont elle a déjà fait l’objet : Association pour l’atrésie de l’œsophage, Fondation de l’avenir, Plan national maladies rares (Centre de référence des affections congénitales et malformatives de l’œsophage), Fondation Benoit Malassagne. Elle représente un espoir important pour les familles d’enfants atteints d’atrésie de l’œsophage. De manière plus générale, elle participe à l’application des nouvelles thérapies aux pathologies de l’œsophage. Il s’agit d’un projet collaboratif impliquant des équipes de l’AP-HP, de l’Inserm, et du CHRU de Lille. Cette collaboration regroupe les compétences cliniques et fondamentales en chirurgie œsophagienne, en ingénierie cellulaire et tissulaire, en endoscopie digestive interventionnelle et en anatomopathologie nécessaires pour le mener à bien. La finalité de ce projet est double : obtenir un substitut œsophagien fonctionnel, autorisant une autonomie nutritionnelle, et comprendre les mécanismes de réparation et de remodelage tissulaire.
Les résultats obtenus
Nos travaux visant à développer un nouveau substitut œsophagien ont débuté en 2007. Nous avons initialement analysé chez le mini-pig les capacités de régénération œsophagienne à partir d’une allogreffe aortique(5,6), par analogie aux travaux menés dans le remplacement trachéal par Martinod et coll(7).Ce travail a permis d’établir que l’aorte, utilisée pour un court remplacement œsophagien, autorisait une autonomie nutritionnelle, sous réserve de la mise en place pendant 6 mois d’une endoprothèse pour calibrer la zone de greffe. Cependant, cette zone était le lieu d’une importante fibrose à 12 mois, sans remodelage tissulaire vers un phénotype œsophagien.
Nous nous sommes ensuite tournés vers l’ingénierie tissulaire et avons dans un premier temps analysé in vitro les conditions optimales d’ensemencement de la matrice SIS (small intestinal submucosa) par des myoblates et des cellules épithéliales autologues(8). Ce substitut hybride a alors été utilisé, après maturation dans le grand épiploon, pour remplacer 5 cm d’œsophage cervical dans un protocole incluant 18 mini-pigs. Bien que les résultats de ce travail en cours de rédaction soient encourageants (épithélium mature, glandes sous-muqueuses et paroi musculaire à 12 mois), la lenteur du remodelage tissulaire vers un phénotype œsophagien et la nécessité de laisser en place une endoprothèse pendant 6 mois pour calibrer la zone de greffe nous semblent incomplètement satisfaisants. Par ailleurs, l’analyse des résultats d’un bras contrôle nous a permis de confirmer que le remplacement œsophagien par l’endoprothèse seule, sans substitut, n’était pas possible. Nous avons donc décidé d’analyser les capacités des cellules souches mésenchymateuses (CSM) associées à la matrice SIS à promouvoir le remodelage tissulaire dans ce modèle.
Pr Pierre CATTAN
Service de Chirurgie générale, digestive et endocrinienne
Unité de thérapie cellulaire
CIC-BT 501 – Inserm UMR 940
Hôpital Saint-Louis
Références